C’est
en dévorant un ouvrage sur les trains d’autrefois que je suis tombé dessus. Tout
de suite, je l’ai trouvée craquante cette vieille loco ; elle n’était pas
comme les autres, elle avait du charme et de l‘élégance. Il fallait que je la
rende plus concrète, et en ‘aidant du peu que je trouvais à son sujet dans la
littérature, j’en établissais des plans à petite échelle (écartement I pour les
connaisseurs, soit 45 mm entre les
rails ; l’ensemble loco-tender mesurant 22 cm).
Mais
comme je n’étais pas tout à fait satisfait, il fallait que j’aille plus loin.
C’est ainsi que j’établis les plans d’exécution d’un modèle fonctionnant
réellement à la vapeur. Quel régal ! Elle tournait déjà dans ma tête et je
pensais alors en rester là.
Ce
n’était quand même pas suffisant et, passionné de mécanique, je réalisais une
pièce par ci, une pièce par là pour le plaisir et je me suis retrouvé avec un
lot d’éléments tel que j’avais atteint le point de non retour. Cette fois,
c’était définitif, il fallait continuer et aboutir. Plus j’usinais de pièces,
plus cela devenait palpitant.
L’époque
de l’assemblage arriva enfin à ma grande joie, car je pouvais tenir en main
cette adorable loco.
Il
fallait ensuite que cela fonctionne correctement.
Pour
ce faire, un certain nombre de mises au point et quelques modifications furent
nécessaires et j’arrivais enfin au moment de l’essai « à chaud ».
Après
avoir rempli la chaudière d’eau distillée (35 cm3), c’est avec
fébrilité que j’allumais l’alcool (2,5 cm3) , situé dans le foyer.
Au
bout de trois minutes, un chuintement annonçait la montée en pression et après
deux ou trois tressaillements, c’est avec émotion que je constatais la réussite
de cette longue mais agréable création qui fonctionnait sous mes yeux au banc
d’essai.
Depuis,
cette machine figure en bonne place dans son présentoir, en attendant de rouler
peut-être un jour sur un circuit de jardin. Mais ceci est une autre affaire.
Cette
machine, la vraie, a une histoire, elle est entrée dans la légende lors du
concours de Rainhill en Angleterre en 1829.
« Il y eut de nombreux
concurrents, quelques-uns au bord de la démence professionnelle. Les plus
sérieux furent George et Robert Stephenson en association avec Henry
Booth ; Timothy Burstall, de Leith en Ecosse qui conçut une voiture à
vapeur routière (objet d’aversion de George Stephenson) et Edward Bury de
Liverpool.
Ce dernier, possédant une
renommée déjà ancienne en mécanique de locomotives, ne put produire une machine
à temps pour e concours qui fut organisé sur un palier de a ligne de Liverpool
à Manchester, à Rainhill, du 6 au 14 octobre 1829.
Transporter les machines des
ateliers jusqu’à Rainhill présenta de nombreux problèmes.
L’engin de Burstall, venant
d’Ecosse, fut endommagé en cours de transport, bien qu’on raconte qu’il put
faire un ou deux courts parcours. C’était une petite machine surannée avec une
chaudière verticale entre de grandes roues, une adaptation de la voiture à
vapeur de son constructeur.
La machine d’Hackworth, la
« Sans-pareil » pouvait être décrite comme une version abrégée à
quatre roues de sa « Royal George ». Elle ne remplissait pas strictement
les conditions de poids admis pour deux essieux seulement, mais elle marchait
certainement, peut-être avec de la lourdeur, consommant une quantité immodérée
de combustible. Une des conditions imposée était que les machines devaient
« consommer efficacement leur propre fumée ». Tous les participants
tournaient cette prescription en chauffant au coke au lieu de charbon. Mais
malheureusement, la « Sans-pareil » manqua de chance en raison de son
étonnant appétit. Elle s’arrêta au huitième parcours, son niveau d’eau tomba et
son fusible de sécurité lâcha, emplissant la boîte à feu de vapeur. Il faut
cependant remarquer en toute loyauté que ses cylindres avaient été fondus par
Stephenson et n’étaient pas sans défaut.
Il restait la
« Novelty », d’Ericsson et la « Rocket » de Stephenson, la
première étant la grande favorite.
La Rocket, croit-on, fut en
grande partie l’œuvre de Robert Stephenson. Elle comportait une chaudière
multitubulaire, comme celle de Seguin, chauffée de l’arrière par une boîte à
feu entourée d’une enveloppe d’eau dont l’idée, pense-t-on, était due à Henry
Booth, associé de Stephenson dans ce concours. Ses cylindres étaient placés
extérieurement, inclinés comme ceux de la « Lancashire Witch », de l’
« America » et de l’« Invicta ».
Le tender n’était encore qu’un
simple tonneau au lieu d’un réservoir proprement dit. Il fut construit par
Nathaniel Wordsell, célèbre constructeur de voitures de l’époque. Après bien
des vicissitudes, sa coque se trouve au Science Museum de Londres, plusieurs reproductions,
grandeur nature s’y trouvent également, coupées pour en montrer le
fonctionnement. En Amérique, existent des répliques dont la première fut
commandée à la société Robert Stephenson et Cie par Henry Ford.
Venons-en maintenant au concours
de Rainhill ! Chaque machine devait parcourir 112 kilomètres sans
interruption (c’étaient en réalité des allers-retours sur un tracé relativement
court), à une vitesse moyenne au moins égale à 16 km/h. « Elle semblait
voler » écrit un spectateur, et on doit rappeler que personne n’avait vu
quelque chose aller aussi vite, à l’exception des aigles, des hirondelles et
autres oiseaux.
D’autres conditions étaient
imposées. La machine acceptée ne devait pas peser plus de six tonnes
(anglaises) pour six roues ou 4,5 tonnes pour quatre roues, la pression de
fonctionnement ne devait pas dépasser cinquante livres par pouce carré.
La chaudière devait avoir subi
auparavant un essai hydraulique égal à trois fois cette pression. Elle devait
être munie de deux souapes de sécurité et d’un indicateur de pression à
mercure, pouvoir remorquer un train de 21 tonnes à 16 km/h.
La « Rocket » et la
« Novelty » remplissaient toutes deux ces conditions, mais la
chaudière ingénieuse mais peu sûre de cette dernière fut la cause de sa
défaite. Elle eut deux défaillances et dut se retirer de la compétition, vidée
de sa vapeur mais non explosée.
C’est ainsi que la malheureuse
petite « Novelty » et la massive « Sans-pareil »
d’Hackworth furent éliminées du concours. Il ne restait plus que la
« Rocket » de Stephenson. On est donc moins surpris que quelques
concurrents aient présenté des machines qui n’étaient pas mues par la force
motrice artificielle. Le « Cyclopède » de Brandreth, par exemple,
était entraîné par un cheval qui en trottant sur une sorte de tapis faisait
tourner les engrenages d’un essieu inférieur. Il fut même présenté une
« manumotive », engin approchant les voitures à manivelles de nos
jeunes années.
La « Rocket » gagna,
accomplissant tous les tours avec sa charge sans aucun incident. La prime de
cinq cent livres alla aux Stephenson et à Booth et aux premiers fut adjugé le
contrat pour la fourniture des locomotives destinées au « Liverpool and
Manchester Railway ».
La « Rocket » avait
atteint une moyenne de 28 km/h et la
vitesse maximum de 46 km/h. Elle fut vendue à la compagnie cinq cent autres
livres, le prix maximal stipulé étant de cinq cent cinquante.
A Newcastle-upon-Tyne, huit
« Rocket » supplémentaires furent mises en chantier pour l’ouverture
de la ligne l’année suivante.
Des améliorations furent
apportées d’une machine à l’autre. En premier lieu, et sur la
« Rocket », elle-même, avant sa mise en service, l’angle
d’inclinaison des cylindres avait été fortement diminué, celui prévu
originellement créant des oscillations alarmantes. Puis les chaudières reçurent
leur propre foyer, le tuyau d’échappement fut amélioré pour créer un vide
suffisant à l’extrémité des tuyaux de la chaudière pour améliorer le
tirage. »
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La ligne de Manchester à Liverpool fut inaugurée le 15
septembre 1830 : un véritable succès technique et commercial qui servit de
modèle pour la construction future de nombreuses lignes de chemin de fer.

« Etaient présents pour
cette inauguration en grande pompe le duc de Wellington, le premier ministre de
l’époque (et vainqueur de Waterloo), en voiture spéciale, toutes les sommités
du moment, des députés, des fonctionnaires … De temps en temps, les trains
s’arrêtaient pour que les gens descendent et que les locomotives
« boivent », puisqu’elles ont besoin d’eau, comme les chevaux.
Tout nouveuu : la première
manche à eau. La « Rocket » va ingurgiter 1 000 litres dans son
tender. Elle est sous pression. Elle attend. Elle sera conduite, bien sûr, par
George Stephenson lui-même. Le duc de Wellington, passionné, se penche pour le
saluer. Mais à ce moment précis, le député local, William Huskisson, se
précipite vers lui. Un geste très dangereux. On n’était pas du tout habitué au
chemin de fer, ni au silence d’une locomotive à vapeur qui roule doucement,
alors que les chevaux font toujours beaucoup de bruit … Une roue a coupé la
jambe du parlementaire. Le pauvre homme a été mis sur la locomotive qui l’a
conduit très vite à l’hôpital (c’est-à-dire à la vitesse, incroyable à cette
époque, de 50 km/h) mais il est mort dans l’après-midi. Ce fut la première
fatalité ferroviaire, le premier accident de chemin de fer en quelque
sorte …
Puis la cérémonie reprit, mais,
instruit par l’accident, on avait jugé préférable de réduire la vitesse et de
faire précéder la locomotive par un cheminot muni d’un fanion !
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De nos jours, à l’ère du TGV, il faudrait que le pauvre
gars courre bien vite !!!

Une réplique de la Rocket a été construite en 1979 à
l’occasion de son cent cinquantième anniversaire. On la voit ici circuler en
2010.
Bibliographie :
Le train, de Hamilton Ellis,
éd. Planète
Histoire des trains, de
Daniel Costelle, éd. Larousse
Images :
www.wikipedia.org
trainsdumonde.chez-alice.fr
http://www.zimbio.com/
René Forestier.
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